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André Gsponer (29 mars 1948 –– 30 mars 2009)

Le 30 mars dernier est décédé André Gsponer au lendemain de son 61ème anniversaire. Pacifiste convaincu, il a laissé sa marque dans le monde du Désarmement nucléaire, que ce soit en fondant le GIPRI (Geneva International Peace Research Institute), en réclamant la reconversion du CERN vers des activités présentant moins de risques d'applications militaires ou encore en militant pour le contrôle des recherches civiles susceptibles de mener à une quatrième génération d'armes nucléaires. Son inlassable action en vue du contrôle démocratique de la connaissance s'est doublée d'une recherche scientifique plus considérable encore susceptible de développements majeurs. Il faut dire que la recherche scientifique, particulièrement en physique, fut toujours la passion de sa vie, mais des circonstances tout à fait exceptionnelles que nous détaillerons plus loin ont fait qu'il se sentit obligé en raison de ses convictions morales de se lancer avec ardeur et ténacité dans une action militante en faveur d'un désarmement nucléaire basé sur un Droit juste. En raison de sa rigueur scientifique et de sa totale liberté de pensée, il le fit d'une façon si originale qu'on peut penser qu'il sera très difficile, si pas impossible, de lui trouver un successeur; d'autant que l'époque n'est apparemment plus celle d'une grande opposition publique à l'anéantissement nucléaire.

L’attrait de la science (1948-1973)

André Gsponer est né le 29 mars 1948 à Brig. Son nom indique que sa famille a jadis habité dans la vallée de Gspon, avant qu'un de ses ancêtres se soit installé à Ausserberg, d'où la famille est maintenant originaire.

Comme beaucoup de ses camarades de classes du début des années 1960, André a été très tôt fasciné en cette époque de science triomphante par les fusées, centrales nucléaires et autres ordinateurs. Il se découvre un don précoce pour l'enseignement des sciences et des techniques. Lorsqu'il obtient en 1967 au Gymnase cantonal de Lausanne sa maturité scientifique, il a déjà participé à la rédaction d'un cours d'électronique générale d'environ 300 pages enseigné entre 1966 et 1967 à l'Université Populaire de Lausanne.

Esprit très analytique et très respectueux de la vie humaine, il finit par se méfier des fusées et autres centrales nucléaires en raison des menaces pour la survie de l'humanité que ces techniques finissaient par générer sous forme de missiles balistiques munis d'ogives nucléaires. Après avoir hésité entre science et médecine, Gsponer choisit de se lancer dans la physique des hautes énergies; entre autres parce que la Connaissance dans cette discipline ne s'y acquiert que collectivement et est immédiatement mise à disposition de tous. L'attrait d'une possible carrière au CERN, une institution dont la charte interdit toute recherche militaire, était stimulante; encore fallait-il d’abord gagner ses galons de chercheur. Il reçut un diplôme de physique de l'Université de Lausanne en 1972 pour un travail effectué en partie au CERN où il eut pour premier patron Georges Charpak (qui deviendra prix Nobel en 1992); puis après cela il travailla pendant une année comme consultant en électronique et informatique.

Une carrière toute tracée (1974-1977)

Par nature, Gsponer était un physicien “phénoménologiste”, c'est-à-dire un théoricien avant tout intéressé par calculer précisément certains phénomènes dont les prévisions pourront être comparées aux mesures expérimentales. Les univers à 10 ou 26 dimensions, très à la mode de nos jours, l’ont toujours laissé assez sceptique… Paradoxalement, il décida de commencer une carrière en physique expérimentale “à titre d'échauffement”. C'est ainsi qu'il se rendit au Rutherford Laboratory près d'Oxford pour y effectuer une thèse où ses compétences jointes en informatique et électronique étaient les bienvenues car alors encore rares. Confiné dans cette occupation, ses proches collègues d'Oxford puis du CERN ne virent en lui qu'un excellent programmeur.

Gsponer n'allait rester en Angleterre qu'une année avant d'être “débauché” en 1975 par Valentine Telegdi, un fameux physicien d'origine hongroise. Ce dernier vint en effet recruter Gsponer pour renforcer l'équipe de sa nouvelle expérience déjà en activité au Fermilab à Chicago qui fut peut-être la première expérience de physique des particules où eut lieu une certaine forme spécifique d'acquisition et de traitement des données en ligne. L'offre était irrésistible, parce que le défi était passionnant et aussi parce que Telegdi était célèbre: il ne fut pas le premier à publier l'observation de la violation de la parité qu'en raison d'un retard causé par un déplacement en Europe à l'occasion des funérailles de son père, de sorte que sa communication majeure parut en 1956 deux semaines après celles de deux équipes rivales. Telegdi devint ensuite en 1976 professeur au Poly de Zurich (ETH), emportant avec lui son équipe qui allait s'activer sur une nouvelle expérience montée au CERN, dite la Collaboration NA10. La contribution de Gsponer, formellement affilié à l'ETH, à la réussite de ces expériences fut jugée suffisamment importante pour qu'il obtienne non seulement son doctorat en 1978, mais aussi en 1979 la médaille d'argent du Poly, une distinction rare.

Malaises au CERN et au GIPRI (1978-1982)

En plus de l'équipe de Telegdi de l'ETH, la Collaboration NA10 regroupait des équipes en provenance des USA, de Bulgarie, de France, ainsi qu'une équipe affiliée au CERN proprement dit. A cette occasion, Telegdi eut à partager un temps son nouveau bureau au CERN avec l’Américain Burton Richter, prix Nobel de physique en 1976 alors en visite au CERN, ce qui allait avoir une conséquence imprévue. Alors qu'il attendait dans ce bureau le retour de Telegdi, Gsponer eut son regard attiré par un document décoré de tampons marqués “secret” que Richter avait oublié par mégarde de ranger. Intrigué par ce détail incongru, Gsponer constata qu'il s'agissait d'un rapport sur la réalisation d'armes à faisceaux de particules. Comme il l'a écrit lui-même, “c'était très troublant parce que je n'avais pas la moindre idée que la physique des particules élémentaires et des accélérateurs de particules pouvait avoir des applications militaires. C'était quelque chose dont je n'avais jamais entendu parler dans aucun cours ou séminaire ni lu dans aucun livre ou article scientifique (…) alors que j'avais choisi précisément de travailler dans la recherche fondamentale parce qu'on affirmait qu'il n'y avait aucune application pratique, et a fortiori militaire…”

Suite à cette déstabilisante révélation Gsponer décida d'en savoir plus et se mit à étudier avec détermination l’histoire et la physique des armements, n'hésitant pas à publier à l'intention du public le fruit de ses recherches dans les journaux qui le voulaient bien, au moyen d’articles qui dérangent, notamment sur les efforts que la Suisse avait effectués en vue d'acquérir la bombe atomique jusqu'à qu'elle se résigne à ratifier en 1978 le TNP (Traité de Non-prolifération) qu’elle avait signé en 1969.

Après quelques hésitations, Gsponer décida aussi d'objecter définitivement après avoir effectué une école de recrues et deux cours de répétitions en tant que soldat sanitaire non armé, ce qui perturba quelque peu ses collègues au CERN d'autant plus que Gsponer réclama en vain à Telegdi de lui accorder une demi-journée par semaine dans le but d'approfondir les recherches de son choix. Les raisons de ce refus sont peu claires. Voulut-il décourager Gsponer de continuer sur la voie de la contestation militaro-scientifique ou voulut-il simplement garder le contrôle sur son collaborateur? Gsponer en fait voulait avoir le temps d'étudier et appliquer un formalisme “bien oublié” à cette époque, le formalisme des quaternions dont nous reparlerons plus loin.

L'expérience NA10 avait la particularité de disposer d'un grand aimant particulièrement efficace comme spectromètre de masse mis au point par un génie de la technique: Mario Morpugo. Un jour de 1979 un ingénieur Irakien posa quelques questions sur cet aimant. Du fait que l'enrichissement de l'uranium par séparation électromagnétique nécessite également de très grands aimants, Gsponer en déduisit l'intérêt probable de l'Irak pour l'arme nucléaire. C'était troublant, car cette méthode d'enrichissement utilisée lors de la Deuxième guerre mondiale avait toujours été présentée comme inefficace et remplacée par d'autres méthodes moins chères comme la séparation par diffusion gazeuse ou l’emploi de centrifugeuses. Cette dernière méthode est la plus tentante pour la prolifération clandestine, sauf qu'elle est techniquement très exigeante comparée à l'enrichissement électromagnétique au moyen de “calutrons”. Toutefois, 35 ans de perfectionnements techniques et la disposition d'importantes ressources énergétiques et financières liées à son pétrole avait fait que l’Irak avait quand même de bonnes raisons de s'intéresser à nouveau aux calutrons. Cette nouvelle confirmation des implications militaires des accélérateurs de particules décida Gsponer à démissionner du CERN lorsqu'il réalisa le faible pouvoir que lui et ses collègues scientifiques avaient pour améliorer les choses de l'intérieur de l'institution.

Gsponer décida alors de créer le GIPRI sur le modèle du SIPRI (Stockholm International Peace Research Institute pour enrayer les contributions à la course aux armements nucléaires dues à la curiosité des chercheurs scientifiques. L'idée peaufinée avec l'aide de Roy Preiswerk, alors directeur de l’IUED (Institut Universitaire d’Etudes du Développement de l’Université de Genève) n'était pas d'instaurer un n-ième institut d'études stratégiques, dont les objectifs se résument in fine à l'analyse politique des rapports de forces. Il s'agissait au contraire de promouvoir une politique active de désarmement par le biais du contrôle du savoir. Quelques notables du Canton de Genève comme Mme Monique Bauer-Lagier, conseillère aux Etats à Genève, ou les professeurs Alexandre Berenstein, ancien Juge fédéral, et le professeur de Droit Ivo Rens furent également intéressés à la création d'un nouvel institut pour la paix à Genève, qui fut inauguré sous la forme d'une Association en novembre 1979. Gsponer en devient le premier directeur.

Après avoir prévenu les autorités fédérales de l'intérêt des Irakiens pour les calutrons, Gsponer rédigea en 1980 à l’occasion de la deuxième Conférence de révision du Traité sur la non-prolifération (TNP) un document dans lequel il montrait que la technologie de la séparation électromagnétique était redevenue très proliférante, mentionnant explicitement l’Irak. Après avoir été averti par des spécialistes des dangers que pouvaient représenter pour lui et ses anciens collègues du CERN la révélation d’une telle information, il décida de ne plus mentionner en public l’intérêt soutenu des Irakiens pour les calutrons.

En novembre 1980 vint le moment de son procès pour refus de servir. Gsponer fut reconnu objecteur de conscience et condamné à deux mois d'arrêts répressifs et à l'expulsion de l'armée. Parmi les témoins invités à s'exprimer il y avait Sean MacBride, ancien ministre des Affaires étrangères d'Irlande, prix Nobel de la paix en 1974. Celui-ci a soutenu la défense de l'accusé en développant une argumentation fondée sur “Le droit au refus de tuer”, un de ses textes que Gsponer avait traduit en français dans le cadre de sa préparation au procès.

Au cours des années suivantes, le GIPRI, parfois en collaboration avec le SIPRI ou le CUEPE (Centre d'étude des problèmes de l'énergie de l'Université de Genève) publia aussi bien des rapports techniques sur la conservation de l’énergie dans les habitations, des articles de vulgarisation sur les problèmes du nucléaire, que des manuels de réflexions sur la militarisation de la science destinés aux étudiants; et surtout les premières études indépendantes à voir le jour sur les armes à faisceaux. C'est ainsi en 1982 que Gsponer fut confronté pour la première fois à un acte manifeste de censure contre un de ses articles sur la physique des armes à faisceau de particules qui avait pourtant été accepté pour publication dans le journal “The Bulletin of the Atomic Scientists”. Bien qu'il ait retourné à l'éditeur les épreuves corrigées, l'article ne parut jamais, et aucune explication écrite de la raison ne lui fut donnée. Après coup, on comprit qu'il s'était agi de ne pas couper l'effet d'annonce du Président Reagan qui le 23 mars 1983 annonçait la fameuse Initiative de Défense Stratégique (SDI), plus connue sous le nom de “Guerre des étoiles”.

La visibilité rapidement acquise par le GIPRI couplée à la totale indépendance d'esprit de son directeur, qui osait remettre en question le modèle scientifique idéalisé destiné à l'édification de la population, a fait que Gsponer fut contesté par les membres du Comité directeur du GIPRI plus habitués à un consensus mou. La ligne de recherches de Gsponer, bien que soutenue par Roy Preiswerk gravement malade d'un cancer, fut mise en minorité au cours d'une assemblée générale où votèrent contre elle de nombreuses personnes qui avaient été manifestement invitées à devenir membres dans ce but. Le résultat fut que Gsponer démissionna accompagné de ceux qui partageaient ses idées. Le GIPRI qui perdit alors tous ses chercheurs compétents en sciences exactes allait désormais devenir un Institut d'études stratégiques très consensuel. Dès lors, la Suisse avait perdu la perspective de disposer d'un grand Centre qui puisse faire entendre sa voix dans le concert du désarmement; mais peut être était-ce bien là le but? Que craignait-on à Berne ou à Genève? que le GIPRI révèle avant le Conseil fédéral que la Suisse conservait encore une réserve de matière fissile alors que la Suisse avait finalement ratifié le TNP en 1977? que l'URSS était en retard dans la plupart des technologies liées aux armements contrairement aux affirmations répétées des autorités de l'époque?

De la quadrature du CERN aux armes à antimatière (1983-1987)

Gsponer tira les conséquences de cette affaire et créa aussitôt un institut indépendant de la bienveillance des autorités, l'ISRI (Independent Scientific Research Institute). Le corollaire inévitable cette l'indépendance fut que le financement de l'ISRI fut encore plus incertain que celui du GIPRI, de sorte que Gsponer accepta une place en tant qu'ingénieur système pour Orbisphere, une entreprise du mécène Harry Dudley Wright, en l'honneur duquel se perpétue à Genève un “Colloque Wright pour la Science”.

Grand travailleur, Gsponer réussit néanmoins à conserver une activité débordante dans le domaine du désarmement en se lançant dans des activités tous azimuts pour analyser les implications des systèmes nucléaires avancés (qui sont définis comme des systèmes combinant au moins deux des trois techniques que sont celles de la fission, de la fusion et de la technologie des accélérateurs). Il montra en particulier comment les problèmes de la recherche militaire sont décomposés en problèmes de recherches anodins qui peuvent être résolus par des chercheurs civils sans que ces derniers s'en rendent compte. Il publia aussi ses premières réflexions sur la bombe à neutrons.

L’année 1984 allait être importante pour Gsponer, entre autres en raison de “La Quadrature du CERN” qu’il écrivit avec trois co-auteurs: Pierre Lehmann, Jacques Grinevald et Lucile Hanouz. Cet ouvrage fut perçu à l'époque comme un pamphlet anti-CERN, mais c'était au contraire une véritable réflexion sur la finalité de la recherche scientifique. Le livre se termine sur une proposition de reconversion de cette institution qui ne fut pas très bien perçue en cette année 1984 où après trente année d’existence le CERN recevait enfin son premier prix Nobel pour la découverte des bosons de jauge. L'idée d'une reconversion n'était cependant pas sacrilège dans la mesure où les laboratoires militaires américains de Los Alamos et Livermore, où ont été conçues toutes les têtes nucléaires américaines, n’avaient pas craint de se livrer progressivement à des recherches en biologie moléculaire ou en géosciences. L’ironie veut que les seules découvertes faites au CERN au cours des 25 années qui ont suivi “La quadrature du CERN” ont été des développements technologiques et surtout l'invention du World Wide Web qui n'ont pas grand chose à voir avec la physique des particules élémentaires ou la recherche fondamentale comme le perçoit le public.

Cette année-là, Gsponer quitta Orbisphere pour entreprendre des recherches dans le domaine de l’utilisation rationnelle l'énergie au CUEPE (Centre Universitaire d'Etude des Problèmes de l'Energie) en dépit de l'avertissement de H. Dudley Wright pour qui il s'agissait là d'une activité “où il n'y a pas d'argent à gagner”. Ce fut bien le cas, le prix du pétrole ayant régulièrement diminué pendant plusieurs années après les crises de 1973 et 1979; mais comme il s'agissait d'un problème d'intérêt général, scientifiquement intéressant, cela primait sur le reste pour Gsponer qui se lança dans l’étude de la physique du bâtiment.

En octobre 1984 son fils Olivier naissait malheureusement atteint d'une trisomie-21. Considérant que cet handicap n'invalidait en rien l'humanité de son fils, Gsponer s'efforça toujours de stimuler le développement de son enfant, s'activant aussi de toute sa puissance de réflexion pour imaginer quel pourrait être, ou devrait être, l'accomplissement d'une vie d'un jeune handicapé promis à devenir adulte. Pour autant que je sache, il n'a pas laissé de réflexions écrites à ce sujet, m'en entretenant parfois, toujours plus attristé de voir que ses idées n'étaient pas comprises. Il est vrai qu’elles étaient originales et peut-être trop généreuses.

Il montra aussi à la fin 1984 dans le très respecté journal “La Recherche” que la bombe à neutrons n'était pas aussi “efficace” que présentée dans la presse de l'époque pour arrêter les blindés d'une hypothétique attaque soviétique. La raison étant que les blindages des nouveaux chars procurent à leurs équipages une protection fortement accrue contre les radiations. Il paraît que cet article a réellement contribué à ce que la France renonce à développer ce type d'ogive nucléaire, en montrant que l'usage de bombes à neutrons aurait des effets similaires à celui de petites, mais véritables, bombes thermonucléaires. L'idée de bombes à neutrons “idéales” qui ne tueraient que les hommes en laissant intactes les installations militaires et civiles n’était qu’un leurre…

En juillet 1986 Gsponer se rendit à Madrid à la 4ème Conférence sur les systèmes nucléaires avancés. Il y montra qu'il était théoriquement possible de remplacer la bombe à fission ordinaire qui sert à allumer le combustible thermonucléaire des bombes H par une amorce à antimatière. Une telle technique serait à coup sûr loin d'être simple ou bon marché, mais sans doute réalisable en quelques années en cas de lancement d'un vaste programme de recherches comparable à celui ayant conduit à la réalisation des armes nucléaires ordinaires. Le CERN étant le seul laboratoire au monde à disposer d'un complexe de machines capable de décélérer des antiprotons, les chercheurs américains se proposaient dans un premier temps d’y développer les techniques de manipulation d'antimatière qui permettraient d'emporter aux Etats-Unis les antiprotons qui y seraient produits. La médiatisation que l'antimatière pourrait faire “boum” contribua partiellement à que cette idée ne se réalise pas. L'évolution de la situation stratégique après la chute de l'URSS continue de retarder la motivation pour réaliser de telles armes; qui n'en restent pas moins imaginables…

L'activité de Gsponer en faveur du désarmement se voit interrompue en 1987 en raison de la découverte d'un cancer dont le traitement nécessite une chimiothérapie qui le sauve, mais lui laisse un très mauvais souvenir.

Ile Maurice, programme nucléaire irakien et quaternions (1988-1994)

Ignorant combien de temps il lui restait avant une possible rechute, Gsponer émigre à l'île Maurice d'où sa femme est originaire. Il a ainsi la perspective de passer quelques années en faisant la chose qui l'intéresse le plus: de la physique théorique. Isolé loin des grands centres académiques, il choisit de se concentrer sur de grands problèmes non résolus et plus ou moins abandonnés de la majorité des chercheurs, comme le calcul des masses des particules élémentaires à partir de principes premiers. Ces problèmes ne sont effectivement plus beaucoup étudiés car le “publish or perish” impose aux chercheurs de se concentrer sur des problèmes faciles, ou alors à la mode, susceptibles d'engendrer de nombreuses publications qui soient citées. Gsponer se concentra alors sur la formulation du Modèle Standard des particules élémentaires en remettant à jour et en développant l'ancien formalisme mathématique des quaternions inventé par le savant irlandais Hamilton en 1843. En conséquence de quoi, Gsponer allait avoir en 1993 l'occasion de présenter les progrès de son travail à Dublin à la Conférence du sesquicentenaire de la découverte des quaternions. Dans l'intervalle il avait toutefois été rattrapé à l'île Maurice par la première Guerre du Golfe le premier trimestre 1991, puis en décembre par l'écroulement de l'URSS.

Au cours de l'été 2001 le monde semble découvrir, grâce à un transfuge Irakien, l'existence d'un programme d'enrichissement d'uranium clandestin. Les inspecteurs de l'ONU finiront par découvrir, “surpris”, des calutrons irakiens qui seront aussitôt détruits. Pour Gsponer, ce fut un choc car cette surprise n'aurait pas dû pouvoir se produire après qu'il eut alerté les autorités suisses qui à leur tour n’avaient pas pu manquer d'alerter le monde du Renseignement de surveiller cette technologie. Pendant quelque temps, Gsponer resta très perturbé à l'idée de ne pas avoir suffisamment tiré sur la sonnette d'alarme, et que de fil en aiguille enhardi par la passivité occidentale Saddam Hussein ait vraiment cru qu'on lui laisserait contrôler près de la moitié des réserves mondiales d’or noir. Ce n'est que des années après que Gsponer allait trouver la confirmation que d'autres physiciens chevronnés comme le professeur Richard Wilson d'Harvard avaient également signalé l'intérêt de l'Irak pour l'enrichissement électromagnétique. La surprise feinte des inspecteurs de l'ONU impliquait que Saddam Hussein était non seulement tombé dans un piège, chose évidente aux yeux des politologues, mais que ce piège avait été armé des années avant l'invasion du Koweït, au début des années 1980 peut-être, et que dès cette date on n'attendait plus que la disparition de l'URSS pour passer d'une stratégie de non-prolifération à une stratégie de contre-prolifération.

La dissolution de l'URSS en décembre 1991 en plusieurs nations souveraines et la disparition de la Guerre froide allait mettre en difficulté toute l'industrie mondiale d'armements, monde économique spéculant sur de fabuleux “dividendes de la Paix”. La FPH (Fondation pour le Progrès de l'Homme) commanda à Gsponer une étude sur la reconversion des industries d'armements. Il en résulta un document de 150 pages qui, après avoir évoqué les pistes pour une reconversion, se focalise sur le vrai problème qu’est l'instauration d'une véritable politique de Paix. Impressionné par l'incroyable asymétrie entre les énormes dépenses encore engagées dans la fabrication des armements et le niveau risible de celles dépensées en faveur d'une véritable politique de Paix, Gsponer en conclut qu'il doit exister un véritable tabou de la Paix qui empêche tout individu de vraiment croire à un réel danger d'anéantissement global.

Ce sentiment persuada Gsponer de reprendre ses travaux sur les quaternions où il eut la surprise de réaliser qu’en 1931-1932 Einstein et Mayer avaient déjà découvert, sans le savoir, la plupart des ingrédients de base du Modèle Standard des particules élémentaires. Ce modèle allait être élaboré un demi-siècle plus tard pour organiser les connaissances acquises sur la centaine de particules “élémentaires” progressivement découvertes; or au début de l'année 1932 seuls le proton, le neutron, l'électron et le photon étaient connus…

CTBT et armes nucléaires de 4ème génération (1995-2000)

Sept années s'étant écoulées après sa chimiothérapie, Gsponer décida de revenir à Genève. Sa première activité consista à consigner pour l'Histoire son témoignage sur l'affaire des calutrons irakiens; puis il enchaîna, avec l'aide de Stephan Klement, un physicien également docteur en Droit, sur la perspective de dénucléarisation généralisée entre-ouverte par les résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU élaborées pour dénucléariser définitivement le seul Irak. Ces idées furent avancées dans un texte que les journaux de Droit refusèrent de publier sous divers prétextes, par exemple en mettant en avant que la Guerre du Golfe était terminée depuis désormais trop longtemps…

Gsponer ayant déjà tenté sans grand succès de trouver un soutien en faveur du désarmement de la part de ses confrères scientifiques, des simples citoyens ou des autorités politiques. Ses espoirs allaient désormais se porter sur les diplomates de carrières qui sont les seuls à avoir à la fois conscience de la réalité de la menace d'anéantissement nucléaire et d'avoir la possibilité d'influer sur le cours des événements du fait de leurs positions dans les gouvernements. Le problèmes est que ces diplomates sont entièrement dépendants de l'expertise de leurs propres conseillers militaires, notamment pour tout ce qui est des aspects techniques liés aux futures armes nucléaires. La grande idée d'André à son retour de l'île Maurice fut donc la création d'une institution rigoureusement indépendante des Etats, capable d'anticiper les développements technologiques et scientifiques. Son but devait être de remédier à une des plus importante lacunes pour l'abolition des armes nucléaires, à savoir l'absence de compétences réellement indépendantes et de niveau professionnel sur la technologie des armes nucléaire. En collaboration avec Ted Taylor, qui avait été le concepteur à la fois de la plus grosse bombe de fission et des plus petites avant de s’activer contre le terrorisme nucléaire, il en a découlé un projet d'établir un tel Centre d'excellence.

La reprise des essais nucléaires français de juin 1995 à janvier 1996 illustre que les puissances nucléaires avaient encore besoin d'acquérir des savoirs qui ne seraient plus accessibles après l'entrée en vigueur du Traité d'Interdiction des Essais Nucléaire (CTBT) qui allait être signé en septembre 1996. De là à penser que ces mesures pourraient être utiles à la conception de nouvelles armes nucléaires sans qu'il soit nécessaire de procéder à des essais nucléaires, il n'y avait qu'un pas. D'autres que Gsponer l'ont certainement aussi pensé puisqu'en décembre de cette année les organisateurs de la Conférence de Wilton Park “Preventing the proliferation of weapons of mass destruction: Is it an achievable goal?” allaient inviter Gsponer à présenter son opinion sur cette éventualité; et sans doute aussi pour discuter en coulisses du Centre de compétence.

C'est en se rendant aux Etats-Unis en 1997 que Gsponer réalisa à quel point la communauté des scientifiques opposée aux dérives militaires de la science était bien plus sinistrée que vingt ans plus tôt. Cette communauté ne semblait pas plus en mesure de s'opposer au développement de ces nouvelles armes que son homologue en Europe. La réalisation du Centre en devenait d’autant plus nécessaire.

Pour acquérir une crédibilité auprès des diplomates en attendant la création de ce Centre il ne suffisait pas à Gsponer de démontrer la vraisemblance d'une menace encore hypothétique, pour laquelle souvent des arguments qualitatifs ou semi-quantitatifs suffisent. Pour passer au quantitatif, il faut savoir modéliser les complexes processus de transfert du rayonnement thermonucléaire, ce qui obligea Gsponer à devenir un expert dans le domaine de la physique des plasmas. De la sorte, il lui fut possible de montrer aux diplomates et à leurs conseillers qu'il comprenait suffisamment la physique des bombes A et H pour en dériver leurs caractéristiques encore tenues secrètes; et donc que les extrapolations qu'il pouvait imaginer concernant de nouveaux processus physiques étaient vraisemblables. Entre 1997 et 2000 paraîtront successivement sept mises à jours toujours plus étoffées d'un rapport sur les armes nucléaires de quatrième génération. Cette “quatrième génération” qualifie les armes nucléaires actionnées par des processus physiques qui ne sont pas interdits par le CTBT qui ne prohibe, en fait, que les réactions de fission nucléaires divergentes sans interdire les processus de fusion, d'annihilation, de fission convergente, ou l'allumage du combustible fusible à l'aide de lasers.

A nouveau, cela revenait à attirer l'attention sur la curiosité des chercheurs qui s'intéressent à l'antimatière, aux noyaux superlourds, aux isomères nucléaires, aux superlasers, ou autres dispositifs techniques; autrement dit, tous des domaines de recherches “nobélisables”… Cette fois-ci cependant son action d'information trouva un certain écho dans le milieu diplomatique visé. En plus de plusieurs encouragements à poursuivre, une des versions du rapport sera même traduite en russe par le Ministère des affaires étrangères. Plus tard, en septembre 2005, Gsponer sera invité à l'Institut Fraunhofer à Euskirchen au symposium “Nukleare und radiologische Waffen,” classé “confidentiel”.

Dans l'intervalle, la perspective du Centre de compétences s'est évanouie: les essais nucléaires de 1998 de l'Inde et du Pakistan ayant tué dans l'oeuf l’idée d'une nouvelle approche du désarmement nucléaire, d'autant plus que le CTBT n'entra finalement pas en vigueur, n'ayant pas été ratifié par les USA, l'Inde et quelques autres pays.

Maîtrise du savoir (2001-2005)

Avec l'arrivé de l'Administration de George W. Bush, les perspectives de désarmement nucléaire disparaissent pour longtemps. Il ne fut plus question de négociations mais de brutale politique de la force avec la nouvelle invasion de l'Irak en 2003. Ultime tentative pour enrayer le désastre, Gsponer a essayé d'inviter en Suisse Jafar Dhia Jafar, l'ancien responsable du programme nucléaire irakien, afin que ce dernier puisse témoigner que toutes les installations de ce programme avaient été détruites les années précédentes par les inspecteurs de l'ONU. Consterné, Gsponer découvre que le Conseil fédéral, ayant choisi de facto son camp, avait émis en février 2003 une directive interdisant à tout ancien responsable Irakien d’entrer en Suisse.

Gsponer désabusé va néanmoins profiter de ces années-là, toujours soutenu par la FPH, pour mettre à disposition du public toutes sortes de documents en rapport avec son expérience personnelle en tant que chercheur pour la Paix. Il en fit de même avec ses archives sur les calutrons, les armes à faisceaux de particules ou les applications possibles des armes nucléaires de 4ème génération. Il écrit aussi de nombreux articles “pédagogiques” sur nombre de sujets difficiles tels que l'intérêt militaires des puissances nucléaires pour les munitions (non-nucléaires) à uranium appauvri, les centrales de production d'énergie thermonucléaire, “l'amplificateur d'énergie” de Carlo Rubbia, ou bien l'utilisation des centres de recherches internationaux en vue d'espionner les compétences techniques des adversaires potentiels.

Gsponer allait surtout effectuer en ces années un retour à la physique théorique où, le plus souvent en solitaire, il effectua un travail de fond à explorer les pistes qui l'intéressaient à l'aide des quaternions.

Après le décès de Ted Taylor en 2004 et la perspective du Centre de compétences définitivement évanoui Gsponer décida de se consacrer entièrement à ses recherches en physique fondamentale dont il avait accumulé un grand nombre de résultats nouveaux à mettre en valeur, surtout dans le cadre d’une formulation de la théorie classique de l'électrodynamique qui soit mathématiquement consistante. Pour cela il commença un nouveau programme de recherches sur une généralisation de la théorie des distributions de Schwarz.

Dernières recherches en Angleterre (2006-2009)

Au début 2006 Gsponer s'installe à proximité d'Oxford où il espère nouer des contacts purement académiques avec des scientifiques qui ignorent son passé de “Peace Researcher”. Peu après il commence une collaboration épistolaire avec Jean-François Colombeau, le mathématicien qui a imaginé la généralisation de la théorie des distributions la plus prometteuse. Ensemble, ils s'efforcent d'adapter cette théorie mathématique ardue à des problèmes concrets de physique. Gsponer caresse l'espoir de résoudre les vieux problèmes de physique qui le poursuivent depuis longtemps, notamment prouver la consistance mathématique de la théorie quantique des champs grâce à l'utilisation des fonctions de Colombeau. Hélas, lorsqu'il apprend qu'il est à nouveau atteint d'un cancer il sait qu’il n’y arrivera pas. Il met en ordre ses archives pour la postérité; et surtout il a la satisfaction à la fin de 2008 de trouver enfin une dérivation consistante de l’équation de Lorentz-Dirac – et l'interprétation physique qui va avec – 70 ans après qu’elle eut été écrite. Pour y arriver, il aura fallu qu’il utilise toutes les propriétés des deux formalismes mathématiques qu'il a contribué à développer: celui des quaternions, et celui des fonctions de Colombeau.

En attendant désormais sa fin, il a la douleur d'apprendre le 12 mars 2009 le décès de son fils trisomique. Gsponer quitte Oxford deux semaines plus tard pour Zurich où il décède le 30 mars, le lendemain de son 61ème anniversaire, ayant gardé la maîtrise de sa destinée jusqu'au bout.

Au cours de sa carrière professionnelle, Gsponer a apporté des contributions significatives en informatique, en électronique, en physique des particules élémentaires, des accélérateurs et des plasmas, ainsi qu'en mathématiques abstraites appliquées à la physique ; mais, travaillant essentiellement seul, il n'aura jamais été invité à une vraie conférence de physique théorique de haut niveau.

Il a toujours pensé que les individus, même les moins recommandables, étaient doués d'une conscience qui était susceptible d'être touchée par des arguments rationnels. Cela l'a toujours encouragé à reprendre tôt ou tard son combat pour que l’humanité renonce à la culture de la Guerre.

JPH, le 27 mai 2010

Note: le texte original du 24 juillet 2009 a été remanié suite à une rencontre, le 25 mai 2010, avec Klaus Freudenreich, ancien collègue physicien d'André Gsponer à Fermilab et au CERN (1975-1979).

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