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article:les_armes_a_entimatiere
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 +
 +
 +=====Les armes à antimatière=====
 +
 +
 +Au CERN (Laboratoire européen de physique des particules),
 +dans la nuit du 17 au 18 juillet 1986, pour la première fois
 +dans l'histoire, de l'antimatière a été
 +capturée dans un piège électromagnétique.
 +En raison des conditions relativement précaires de cette
 +première tentative réussie, les antiprotons n'ont pu
 +être conservés que pendant dix minutes environ, une
 +durée toutefois plus longue que les Américains Bill Kells
 +de Fermilab et Gerald Gabrielse de l'Université de Washington
 +n'avaient osé espérer. Lorsque ces chercheurs reviendront
 +au CERN pour une nouvelle tentative, un appareillage plus
 +perfectionné leur permettra, litéralement, de 'mettre en
 +bouteille' quelques dizaines ou centaines d'antiprotons. Quand cette
 +technique sera définitivement au point, ils pourront retourner
 +chez eux avec dans leurs bagages une substance infiniment plus rare et
 +difficile à obtenir qu'un morceau de lune. Ils pourront ainsi
 +terminer dans leur propre laboratoire une expérience des plus
 +importantes pour les théories d'unification des forces de la
 +nature, celle qui consiste à comparer les masses du proton et de
 +l'antiproton avec une précision meilleure qu'une partie dans un
 +milliard. 
 +
 +D'autres chercheurs américains, en provenance cette fois-ci
 +du laboratoire militaire de Los Alamos (où; durant la
 +deuxième Guerre Mondiale la bombe atomique a été
 +mise au point) sont aussi à pied d'oeuvre à
 +Genève. Avec des moyens beaucoup plus importants et un
 +matériel beaucoup plus sophistiqué, ils comptent aussi
 +dans quelques mois capturer des antiprotons et les mettre en bouteille,
 +mais en quantités beaucoup plus grandes. Comme ceux de
 +l'équipe de l'Université de Washington, ils s'efforceront
 +de déceler une infime différence de masse entre le proton
 +et son antiparticule. Mais de plus, ils tenteront toutes sortes de
 +manipulations extraordinaires telles que fabriquer de
 +l'antihydrogène, injecter des antiprotons dans de
 +l'hélium superfluide, rechercher des états
 +métastables dans la matière ordinaire, etc. Des
 +expériences cruciales qui devraient dans un proche avenir nous
 +apprendre si oui ou non l'antimatière peut devenir une nouvelle
 +forme d'énergie nucléaire, utilisable à des fins
 +civiles et militaires. Pour les expériences les plus
 +délicates, ils pourraient ainsi emporter à Los Alamos une
 +bouteille d'antimatière, cuvée 1987 ou 88, afin d'y
 +mettre au point, dans le calme des montagnes du Nouveau Mexique, des
 +armes nucléaires exemptes de retombées radioactives, des
 +armes à faisceaux projetant des jets de plasmas
 +thermonucléaires, des lasers à rayons x ou gamma, et
 +d'autres armes encore secrètes, toutes actionnées par
 +l'antimatière. 
 +
 +==== Un concept vieux de plus de 40 ans ... ====
 +
 +Paradoxalement, aussi futuristes et révolutionnaires que ces
 +armes puissent paraître, la reconnaissance de l'importance
 +militaire de l'antimatière [1], à condition qu'on sache
 +la produire, est aussi ancienne que les textes de science fiction qui
 +en parlent. C'est ainsi qu'Edward Teller, le père de la bombe H
 +américaine, avait peut-être déjà des
 +idées sur d'éventuelles applications militaires lorsqu'il
 +publia en 1947, avec Enrico Fermi, un article traitant de la capture
 +par la matière de particules négatives plus lourdes que
 +l'électron [2]. Il est tout aussi significatif de constater que
 +près de la moitié des publications non classifiées
 +d'Edward Teller parues depuis 1945, et beaucoup des articles
 +publiés d'Andrei Sakharov [3], le père de la bombe H
 +soviétique, concernent de près ou de loin
 +l'antimatière. 
 +
 +En fait, en 1950, deux ans avant l'explosion de la première
 +bombe H, l'allumage par l'antimatière d'un mélange de
 +deutérium et de tritium était à l'étude.
 +Comme le montre, par exemple, un article de A.S. Wightman [4]
 +(étudiant spécifiquement le problème de la capture
 +des antiprotons par le deutérium et le tritium, le combustible
 +de la bombe H) et celui de J. Ashkin, T. Auerbach et R. Marschak [5]
 +(essayant de calculer le résultat des interactions entre un
 +antiproton et un noyau de matière ordinaire), le problème
 +principal de l'époque était qu'on ne disposait alors
 +d'aucune donnée expérimentale permettant de savoir
 +exactement ce qui se passe lorsque, par exemple, un proton rencontre un
 +antiproton. Cependant, des arguments théoriques très
 +solides permettaient déjà de connaître les deux
 +caractéristiques essentielles d'une telle réaction
 +d'annihilation, réaction au cours de laquelle les masses d'une
 +particle et de son antiparticule se transforment entièrement en
 +énergie. Ces deux charactèristiques restent encore
 +valables aujourd'hui et justifient pleinement l'intérêt de
 +l'antimatière. C'est, d'une part, le fait que lors d'une
 +réaction d'annihilation, le dégagement d'énergie
 +utilisable par unité de masse dépasse tout ce que l'on
 +connaît déjà. Pour une annihilation
 +proton-antiproton, il est trois cent fois plus élevé que
 +pour une réaction de fission ou de fusion. D'autre part,
 +lorsqu'on approche l'antimatière de la matière, la
 +réaction d'annihilation démarre toute seule, sans qu'on
 +aie à rassembler une masse critique comme dans la fission, et
 +sans apport initial d'énergie d'allumage comme dans la fusion. </p>
 +<p> Bref, une allumette nucléaire idéale, à
 +condition que l'on sache produire, et bien s&ucirc;r manipuler, des
 +quantités non-négligeables d'antimatière. Mais
 +comme on ne savait ni quand ni comment on pourrait fabriquer cette
 +antimatière, et que nombre de questions fondamentales sur
 +l'annihilation étaient en suspend, les recherches
 +appliquées se concentraient depuis plusieurs années sur
 +d'autres techniques, plus prometteuses à court terme, quoique
 +moins élégantes pour les théoriciens. C'est ainsi
 +que le problème de l'allumage de la bombe H fut résolu
 +par l'utilisation d'une bombe A comme détonateur, et l'existence
 +de l'antiproton resta théorique jusqu'en 1955. 
 +
 +====La fabrication des premiers antiprotons====
 +
 +Historiquement, la première antiparticule observée a
 +été l'antiélectron, aussi appelé positron.
 +Elle fut découvert, en 1932, par Carl David Anderson qui observa
 +dans le rayonnement cosmique une particule de m&ecirc;me masse que
 +l'électron, mais de charge opposée. Evidemment, on a
 +essayé de découvrir l'antiproton de la m&ecirc;me
 +manière, mais sans succès. Ne connaissant de lui que sa
 +masse et sa charge électrique, il était pratiquement
 +impossible de l'identifier de manière certaine dans le
 +rayonnement cosmique avec les détecteurs disponibles à
 +l'époque [5]. On devait donc le produire artificiellement. Et
 +pour cela, il fallait un accélérateur plus puissant que
 +tous les accélérateurs construits jusque-là.
 +Très schématiquement, la production d'antimatière
 +se fait ainsi : des protons sont accélérés
 +à une vitesse proche de la lumière, puis projetés
 +sur une cible. Il y a collision. Si violente qu'une partie de
 +l'énergie se transforme en paires particules-antiparticules. Une
 +fois cet accélérateur construit à Berkeley, on a
 +pu alors "voir", des antiprotons pour la première fois en 1955. 
 +
 +En les injectant dans un détecteur rempli d'hydrogène
 +liquide, on observa que lors de la rencontre, explosive, d'un
 +antiproton avec un proton, l'énergie ainsi libérée
 +se rematérialisait en une kyrielle d'autres particules qui
 +partaient dans toutes les directions. Ces particules sont
 +essentiellement des pions (encore appelés mésons pi).
 +Elles emportaient avec elles la quasi totalité de
 +l'énergie d'annihilation. Mais Edward Teller et son
 +étudiant Hans-Peter D&uuml;rr n'en restèrent pas
 +là [6]. En 1956, ils émirent l'hypothèse que si au
 +lieu de s'annihiler avec un simple noyau d'hydrogène,
 +l'antiproton s'annihilait avec un proton ou un neutron situé au
 +coeur d'un noyau complexe comme le carbone ou l'uranium, le noyau en
 +question exploserait litéralement, d'o&ugrave; un
 +dép&ocirc;t d'énergie extr&ecirc;mement importante.
 +Ainsi, un grand nombre d'applications civiles et militaires de
 +l'antimatière redevenaient possible en théorie. </p>
 +
 +====Les découvertes du CERN ...====
 +
 +Trente ans s'écoulèrent avant qu'on ne réalise
 +le complexe de machines hypersophistiquées nécessaires
 +à l'accumulation et au ralentissement d'antiprotons. Ce
 +système unique au monde [7] se trouve au CERN (fig. 1).
 +Grâce à lui, il est devenu possible d'étudier la
 +rencontre d'un grand nombre d'antiprotons avec des noyaux d'atomes.
 +C'est ainsi que l'on a pu définitivement établir que si
 +le dép&ocirc;t d'énergie n'était pas aussi
 +importante que Teller --- ou d'autres plus récemment [8] ---
 +l'avait escompté, il était toutefois suffisante pour que
 +les applications militaires de l'antimatière deviennent possible
 +en pratique. Par contre, il devenait tout aussi clair que
 +l'antimatière ne pourrait jamais devenir une source
 +d'énergie utilisable dans une centrale électrique. Il
 +faut savoir en effet que la production d'antimatière co&ucirc;te
 +cher, très cher, tant il faut d'énergie pour la
 +créer. 
 +
 +Grâce aux résulats du CERN, nous avons pu, dès
 +ao&ucirc;t 1985, publier une estimation du nombre d'antiprotons
 +nécessaires pour allumer des réactions
 +thermonucléaires : que ce soit pour amorcer une bombe H ou pour
 +déclencher la microexplosion d'une pastille de combustible
 +thermonucléaire [9]. Nous avons ainsi découvert qu'il
 +était tout à fait possible de réaliser une bombe
 +H, ou une bombe à neutrons, dans laquelle les trois à
 +cinq kilogrammes de plutonium seraient remplacés par un
 +microgramme d'antihydrogène. Le résultat serait ce que
 +les militaires appellent une bombe `propre', c'est-à-dire une
 +arme nucléaire pratiquement exempte de retombées
 +radioactives, car ne contenant plus de matériaux fissiles (fig.
 +2). 
 +
 +
 +====... et la renaissance de l'intérêt des militaires====
 +
 +Pour qu'une telle utilisation militaire soit réaliste, il
 +faut disposer d'une technologie capable de produire suffisamment
 +d'antiprotons pour fabriquer au moins un détonateur à
 +antimatière par jour. D'o&ugrave; un taux de production minimal
 +de 10<sup>13</sup> antiprotons par seconde, ce qui est six ordres de
 +grandeurs plus élevé que celui du CERN aujourd'hui (10<sup>7</sup>
 +
 +antiprotons par seconde); mais de nombreuses possibilités
 +d'augmenter ce dernier chiffre existent théoriquement [9]. Ce
 +que nous ignorions, c'est que, dès l'été 1983, la
 +RAND corporation avait déjà examiné pour le compte
 +de l'US Air Force les possibilités d'exploiter "le grand
 +dégagement d'énergie, résultant de l'annihilation
 +matière-antimatière" [10]. Des préoccupations
 +similaires avaient également germé en Union
 +Soviétique [11]. Le travail de la RAND fut
 +complété en 1984 et la version publiée en juin
 +1985 constitue une importante évaluation des possibilités
 +de développement d'une telle entreprise en vue d'applications
 +militaires. 
 +
 +Selon ce document, une évaluation définitive de la
 +possibilité de produire et manipuler 10<sup>13</sup> antiprotons
 +par second, et de réaliser des réservoirs d'antiprotons
 +transportables, devrait pouvoir &ecirc;tre obtenue dans les cinq
 +à sept prochaines années ; d'importants
 +développements technologiques pouvant &ecirc;tre testés
 +à l'aide de particules ordinaires d'antiprotons. Ce rapport
 +mentionne quatre grandes catégories d'applications: <i>propulsion</i>
 +(carburant pour fusées anti-missiles ultra-rapides), <i>genérateurs
 +d'énergie</i> (ultra-compactes et légers pour les
 +plateformes militaires en orbite), <i>armes à énergie
 +dirigées</i> (faisceaux d'antihydrogène, lasers
 +nécessitant un pompage ultra-rapide) et <i>"autres usages
 +militaires secrets"</i> (bombes diverses actionnées par
 +l'antimatière). 
 +
 +Pour toutes ces applications, en plus des avantages liés
 +à l'extr&ecirc;me densité d'énergie et à la
 +facilité d'allumage, les réactions d'annihilations ont
 +deux caractéristiques spécifiques importantes : la
 +libération d'énergie dans une explosion
 +matière-antimatière est extr&ecirc;mement rapide (dix
 +à mille fois plus brève que dans une explosion
 +nucléaire) et la plus grande partie de l'énergie est
 +émise sous forme de particules chargées
 +légères mais très énergétiques (le
 +rapport énergie/masse des pions émis dans l'annihilation
 +est deux milles fois plus élevé que le rapport
 +correspondant pour la fission ou la fusion). A l'aide de champs
 +magnétiques, on peut alors former un faisceau de pions d'une
 +intensité colossale, de l'ordre de 100 méga-ampère
 +par microgramme d'antiprotons. Dirigé dans l'axe d'un dispositif
 +adéquat, un tel faisceau peut actionner un
 +générateur magnéto-hydrodynamique, engendrer un
 +faisceau d'ondes électromagnétiques, amorcer une
 +explosion thermonucléaire cylindrique, ou encore pomper un laser
 +à rayons x de grande puissance. Dans ce dernier cas,
 +l'énergie des pions transformerait, en un plasma très
 +uniforme, un long cylindre d'une substance telle que le
 +sélénium, dont les atomes ionisés possèdent
 +des états excités favorables à l'émission
 +stimulée et à l'amplification d'un rayonnementxX
 +cohérent. Mais ce concept n'est qu'un exemple parmi d'autres
 +d'une série de possibilités qui permettent, en
 +théorie, grâce à l'antimatière, d'envisager
 +des laser x au rendement dix à mille fois plus
 +élevés que ceux qui sont actionnés par d'autres
 +sources d'énergie. 
 +
 +La mise au point de ces applications demande évidemment un
 +certain nombre d'expériences qui ne peuvent &ecirc;tre faites
 +qu'avec de l'antimatière. Cependant, dans la mesure o&ugrave;
 +des antiprotons fabriqués en Europe (sur territoire suisse)
 +pourront &ecirc;tre mis en bouteille et emmenés aux Etats-Unis,
 +la RAND Corporation estime que la construction d'une installation aussi
 +complèter que celle du CERN ne sera pas nécessaire
 +à court terme aux Etats-Unis [12]. 
 +
 +====Recherche fondamentale ou recherche militaire ?====
 +
 +En raison de l'importance des enjeux stratégiques (il
 +semble, par exemple, que l'antimatière soit une source
 +d'énergie particulièrement intéressante pour
 +actionner les laser à rayons x de la Guerre des étoiles),
 +il n'est pas étonnant que les savants américains et
 +soviétiques intéressés par les applications
 +éventuelles de l'antimatière se pressent pour venir au
 +CERN, qui dispose aujourd'hui d'au moins cinq ans d'avance dans la
 +technique de production de l'antimatière. Dans ce contexte, il
 +n'est pas étonnant non plus qu'un faux pas survienne... 
 +
 +En effet, la justification officielle des équipes de
 +physiciens américains en provenance de laboratoires militaires,
 +est de venir au CERN pour y faire des recherches <i>fondamentales</i>,
 +de science pure. Or, au début de juillet 1986, ces m&ecirc;mes
 +Américains devaient aller à Madrid o&ugrave; une session
 +entière de la quatrième conférence internationale
 +sur les systèmes nucléaires avancés était
 +consacrée aux applications de l'antimatière pour la
 +production d'énergie nucléaire. A cette m&ecirc;me
 +conférence, nous devions présenter le point de vue que
 +les seules applications réalistes de l'énergie
 +d'annihilation seraient dans le domaine militaire [13]. </p>
 +<p> Coup de théâtre, les Américains ne sont pas
 +venus ! Dix jours avant le début de la conférence, ils
 +ont annoncé leur retrait sans fournir de réelles
 +explications. Les participants ont vite compris que les
 +autorités américaines avaient sans doute
 +réévalué l'importance militaire de
 +l'antimatière et avaient emp&ecirc;chés les chercheurs de
 +Los Alamos de venir à Madrid [14]. Des scientifiques travaillant
 +au CERN, en provenance d'un laboratoire militaire non européen,
 +ont ainsi montré qu'ils avaient d'autres intér&ecirc;ts
 +que la recherche fondamentale, et que ces intér&ecirc;ts
 +touchaient de toute évidence au domaine couvert par le secret
 +défense... 
 +
 +====Conséquences stratégiques et politiques====
 +
 +Que des armes thermonucléaires actionnées à
 +l'antimatière soient réalisables ou non, que d'autres
 +armes utilisant l'énergie d'annihilation soient faisables ou
 +non, le fait qu'une quantité relativement faible
 +d'antimatière puisse déclencher une explosion
 +thermonucléaire de grande puissance pose de graves
 +problèmes pour l'avenir de l'équilibre
 +stratégique. En effet, les traités de contr&ocirc;le des
 +armements actuellement en vigeur ne concernent formellement que les
 +dispositifs et les matériaux qui sont en rapport avec la fission
 +[15] : bombes atomiques, réacteurs nucléaires et
 +matières fissiles. En éliminant l'amorce de fission des
 +armes thermonucléaires, les bombe H ou les bombes à
 +neutrons déclenchées à l'antimatière
 +pourraient &ecirc;tre librement fabriquées par tout pays qui en
 +aurait les moyens, et placées dans tous les environnements, y
 +compris l'espace extra-atmosphérique. </p>
 +<p> D'autre part, si par exemple des obstacles techniques
 +emp&ecirc;chaient la réalisation concrète d'armes
 +à antimatière utilisables sur le champ de bataille, les
 +microexplosions actionnées par l'antimatière
 +permettraient néanmoins de réaliser en laboratoire des
 +explosions thermonucléaires de faible et moyenne puissance.
 +Cette possibilité réduirait considérablement le
 +besoin d'effectuer des explosions nucléaires souterraines, et
 +rendrait évidemment dérisoire toute tentative de
 +ralentissement de la course aux armements par un éventuel
 +traité d'interdiction complet des essais nucléaires [15].
 +Une telle installation d'essais nucléaires en laboratoire
 +pourrait &ecirc;tre construite autour d'un complexe de grands
 +accélérateurs d'ions lourds [16], lesquels serviraient
 +alors autant pour la production massive d'antimatière, que pour
 +des études de compression et d'explosion de microbilles de
 +combustibles thermonucléaires. 
 +
 +André Gsponer et Jean-Pierre Hurni
 +
 +====Références====
 +
 +
 +[1] J. Grinevald, A. Gsponer, L. Hanouz et P. Lehmann: La quadrature
 +du CERN. Editions d'En Bas, CH-1017 Lausanne (1984).
 +
 +[2] E. Fermi and E. Teller: The capture of negative mesotrons in
 +matter. Phys. Rev. <strong>72</strong> (1947) 399--408.
 +
 +[3] A. D. Sakharov: Oeuvres scientifiques, Editions anthropos, Paris
 +(1984).
 +
 +[4] A. S. Wightman: Moderation of negative mesons in Hydrogen I:
 +Moderation from high energies to capture by an H<sub>2</sub> molecule.
 +Phys. Rev. **77** (1950) 521--528. (Note: la partie II de
 +cet article n'a jamais été publiée.)
 +
 +[5] J. Ashkin, T. Auerbach and R. Marschak: Note on a possible
 +annihilation process for negative protons. Phys. Rev. **79**
 +(1950 ) 266--271.
 +
 +[6] H.-P. Duerr and E. Teller: Interaction of antiprotons with
 +nuclear fields. Phys. Rev. <strong>101</strong> (1956) 494--495.
 +
 +[7] La mise en service à Fermilab près de Chicago d'un
 +système de production et de refroidissement d'antiprotons est
 +prévue pour la fin 1986. Par contre, on ne prévoit pas
 +d'y construire un sytème de décélération
 +semblable à LEAR (fig. 1). En ce qui concerne l'URSS, on n'a que
 +peu de détails sur l'état d'avancement de leur projets
 +avec l'antimatière.
 +
 +[8] M.R. Clover et al.: Low energy antiproton-nucleus interactions.
 +Phys. Rev. <strong>C26</strong> (1982) 2138-2151.
 +
 +[9] A. Gsponer and J.-P. Hurni: Antimatter induced fusion and
 +thermonuclear explosions. Atomkernenergie--Kerntechnik <strong>49</strong>
 +(1987) 198--203.
 +
 +[10] B.W. Augenstein: Concepts, problems, and opportunities for use
 +of annihilation energy. Prepared for the United States Air Force, RAND
 +Note N-2302-AF/RC, June (1985).
 +
 +[11] N. A. Vlasov: Annihilation as an energy process. Soviet atomic
 +energy <strong>44</strong> (1978) 40--45.
 +
 +[12] Référence 9, page 43.
 +
 +[13] A. Gsponer and J.-P. Hurni: The physics of antimatter induced
 +fusion and thermonuclear explosions. Proceedings of the 4th
 +International Conference on Emerging Nuclear Energy Systems, Madrid,
 +June 30/July 4, 1986 (World Scientific, Singapore, 1987) 166--169.
 +
 +[14] Les titres des communications censurées étaient
 +les suivants:
 +
 +W. Saylor, S. Howe, D. Holtkamp, M. Hynes (invited paper):
 +Antimatter production factory - systems tradoffs.
 +
 +M. H. Holzscheiter: Antiproton storage - A new concept for future
 +energy systems. <
 +
 +L. J. Campbell: Antiproton storage in condense matter - The promise,
 +the prospects.
 +
 +S. Howe (invited paper): Use of antimatter annihilation products to
 +produce usable power for space based applications.
 +
 +[15] A. Gsponer, B. Jasani and S. Sahin: Emerging nuclear energy
 +systems and nuclear weapon proliferation. Atomkernenergie/Kerntechnik <strong>43</strong>
 +(1983) 169--174.
 +
 +[16] C. Deutsch: Intertial confinment fusion driven by intense ion
 +beams. Annales de Physique <strong>11</strong> (Février 1986)
 +1--111.
 +
 +**Illustration No 1:** 
 +
 +**Réservoir transportable d'antimatière**
 +
 +
 +{{:article:penning.jpg|}}
 +
 +Des antiprotons produits au CERN peuvent &ecirc;tre stockés
 +dans une trappe de Penning comme celle-ci, et envoyés par voie
 +de surface ou par avion dans un laboratoire industriel ou militaire. La
 +plus grande partie de cette ``bouteille'' est un réservoir
 +contenant de l'azote liquide destiné à refoidir la trappe
 +de Penning proprement dite. Celle-ci se trouve au bas de
 +l'équipement, à la hauteur du système
 +d'injection/extraction des antiprotons. (Cliché Pennsylvania
 +State University.)<br>
 +
 +
 +**Illustration No 2**
 +
 +**Bombe à hydrogène actionnée à l'antimatière**
 +
 +
 +{{:article:bombe.jpg|}}
 +
 +
 +Il est possible de réaliser une arme thermonucléaire
 +dans laquelle les quelques 3 à 5 kilos de plutonium
 +nécessaires à l'amor&ccedil;age seraient remplacés
 +par 1 microgramme d'antihydrogène. Dans une telle bombe
 +hypothétique, l'antimatière se trouverait au centre, sous
 +forme d'une bille d'un dixième de mm de diamètre
 +isolée du combustible thermonucléaire, une sphère
 +creuse de 100 g de Li2DT qui l'entoure. Après qu'un ensemble de
 +lentilles explosives a suffisamment comprimé ce combustible,
 +celui-ci touche l'antihydrogène. Les réactions
 +d'annihilation matière-antimatière se déclanchent
 +alors instantanément, fournissant l'énergie
 +nécessaire pour "allumer" les réactions
 +thermonucléaires. Si le degré de compression choisi est
 +élevé, on obtient une bombe à effets
 +mécaniques augmentés ou, s'il est bas, une bombe à
 +neutrons (voir "Les armes à neutrons" dans La Recherche de
 +septembre 1984). Dans les deux cas, les effets d'impulsion
 +électromagnétique et les retombées radioactives
 +sont nettement réduits par rapport à ceux d'une bombe A
 +ou H conventionnelle de m&ecirc;me puissance. </p>
 +
 +
 +----
 +
 +**ENCADRE** 
 +
 +
 +===Production et stockage des antiprotons===
 +
 +La théorie quantique relativiste prédit l'existence
 +de deux espèces de composants élémentaires qui se
 +manifestent sur un pied d'égalité par rapport aux
 +équations fondamentales. Pour chaque particule, il existe ainsi
 +une antiparticule dont la masse et le spin sont les m&ecirc;mes, mais
 +dont les charges électrique et forte sont du signe
 +opposé. De plus, particules et antiparticules peuvent
 +appara&icirc;tre ou dispara&icirc;tre par paires, et ceci notamment
 +lorsque de l'énergie se transforme en matière. </p>
 +<p> Les antiprotons et les positrons seront très probablement
 +les seules formes d'antimatière qu'il sera possible de produire
 +en quantités substancielles dans les années à
 +venir. Pour les fabriquer, on accélère des protons (ou
 +d'autres particules) à des énergies telles que lorsqu'ils
 +entrent en collision avec une cible, une partie de l'énergie se
 +transforme en des paires particules-antiparticules. En pratique, si
 +l'on utilise une cible fixe, la production des antiprotons est maximale
 +(par rapport à l'énergie investie) lorsque les protons
 +sont accélérés à une énergie de 120
 +GeV (giga électron-volts) environ [A]. Comme moins d'une
 +collision sur trente produit un antiproton, et que la masse de
 +l'antiproton ne correspond qu'à 0.94 GeV, le rendement
 +énergétique est très mauvais. De ce point de vue,
 +une meilleure solution serait d'utiliser un anneau-collisionneur dans
 +lequel les antiprotons sont produits lors de la collision frontale de
 +protons tournant en sens opposé [B]. Toutefois, en
 +théorie, un rendement encore plus élevé pourrait
 +&ecirc;tre obtenu si l'on parvenait à recréer en
 +laboratoire des conditions semblables au `Big-Bang' originel, dans
 +lesquelles la production de paires protons-antiprotons deviendrait
 +spontanée. Il est possible que de telles conditions se
 +retrouvent dans des plasmas de quarks et de gluons créés
 +lors des collisions de ions lourds, lesquelles font aujourd'hui l'objet
 +de recherches intensives [C]. 
 +
 +Une fois les antiprotons créés (avec tout un spectre
 +de vitesses et de directions), l'étape suivante consiste
 +à les capturer avant qu'ils n'interagissent avec la
 +matière. Ce problème est bien plus difficile que celui de
 +la production, et il a fallu près de 30 ans pour qu'on trouve,
 +au CERN, une solution. Pour cela il a fallu inventer le
 +`refroidissement stochastique', une technique qui permet de
 +réduire la largeur de la distribution des vitesses des
 +antiprotons [Voir "La découverte des bosons
 +intermédiaires" dans La Recherche d'avril 1984, p.508-510]. Il
 +est alors possible de concentrer les antiprotons dans un très
 +petit faisceau, de les accumuler dans des anneaux de stockage et,
 +finalement, de les ralentir jusqu'à des énergies telles
 +qu'on puisse les immobiliser dans des pièges
 +électromagnétiques. 
 +
 +Dans un piège de Penning, les particules sont
 +confinées radialement par un champ magnétique et
 +axialement par un champ électrostatique. C'est avec un
 +piège cylindrique de ce type que l'on a pu garder en bouteille,
 +à l'université de Washington, le m&ecirc;me
 +électron pendant plus de 10 mois [D], et que l'on vient de
 +mettre "en bo&icirc;te," au CERN, des antiprotons pour la
 +première fois. Pour conserver des antiprotons pendant des
 +années, il faut encore s'assurer que le vide soit meilleur que 10<sup>-18</sup>
 +Torr, ce qui n'est possible qu'avec des enceintes fermées
 +(après remplissage) et refroidies à la température
 +de l'hélium liquide. Il est alors pratiquement impossible de
 +mesurer la qualité du vide, si bien que seule
 +l'expérience permettra de vérifier si la technique est
 +bonne. En cas de succès, il sera possible de réaliser des
 +bouteilles transportables d'une capacité de 10<sup></sup>22
 +à 10<sup>13</sup> antiprotons [E]. </p>
 +<p> Alors commencera la phase décisive pour les applications
 +pratiques de l'antimatière : sera-t-il possible de
 +développer des techniques de stockage qui soient à la
 +fois suffisamment compactes et simples ? Pour cela, deux voies
 +principales sont envisagées. La première consiste
 +à faire de l'antihydrogène en combinant des antiprotons
 +avec des positrons, puis à essayer de former des billes
 +d'antihydrogène solide, que l'on pourrait manipuler et conserver
 +à l'aide de diverses techniques de lévitation
 +électromagnétique ou optique. On obtiendrait de la sorte
 +des densités de stockage très élevées, mais
 +uniquement dans des enceintes cryogéniques et des vides de
 +très haute qualité. 
 +
 +L'approche la plus séduisante serait de stocker les
 +antiprotons dans de la matière ordinaire. En effet, si toute
 +particule d'antimatière a tendance à s'annihiler
 +spontanément au contact de la matière (que ce soit sous
 +l'effet de l'attraction électromagnétique dans le cas des
 +positrons et des antiprotons, ou des forces de van der Waals dans le
 +cas de l'antihydrogène) l'existence d'états
 +métastables d'antiprotons dans la matière
 +condensée ne peut pas &ecirc;tre exclue à priori [F]. Par
 +exemple, diffusé à très basse énergie dans
 +un solide, un atome d'antihydrogène se déplacera jusqu'au
 +moment o&ugrave; son positron s'annihilera avec un électron.
 +L'antiproton pourra alors prendre la place de cet électron et,
 +sous certaines conditions, rester confiné dans certains points
 +du réseau cristallin. On ne sait pas encore aujourd'hui quels
 +types de matériaux utiliser, mais l'immense diversité des
 +composés chimiques est à la disposition des chercheurs. </p>
 +<p> D'autres possibilités moins évidentes au premier
 +abord pourraient se présenter encore. Par exemple, tout comme
 +les électrons, il est possible que les antiprotons forment dans
 +l'hélium liquide une bulle au centre de laquelle ils
 +subsisteraient indéfiniment [F]. De m&ecirc;me, il n'est pas
 +impossible que des antiprotons dans un métal y forment des
 +paires de Cooper qui, telles les paires d'électrons responsables
 +de la supraconductivité, seraient virtuellement incapables de
 +perdre par choc de l'énergie cinétique, et donc de
 +s'annihiler. 
 +
 + A. G. et J.-P. H
 +
 +
 +Références (pour l'encadré)
 +
 +
 +[A] A. Gsponer and J.-P. Hurni: Antimatter induced fusion and
 +thermonuclear explosions. Atomkernenergie--Kerntechnik <strong>49</strong>
 +
 +(1987) 198--203.
 +
 +[B] G. Chapeline and R. Moir: Some thoughts on the production of
 +muons for fusion catalysis. LLNL Report UCRL-93611 submitted to Journal
 +of Fusion Energy (January 15, 1986).
 +
 +[C] T.A. DeGrand: Are antibaryons a signal for phase transition in
 +ultrarelativistic nucleus-nucleus collisions? Phys. Rev. D30
 +(1984) 2001--2004.
 +
 +[D] G. Gabrielse, H. Dehmelt and W. Kells: Observation of cyclotron
 +motion of a single electron. Phys.Rev.Lett. 54(1985)
 +537--539.
 +
 +[E] W. Kells: Remote antiproton sources. IEEE Trans. Nucl. Sci. NS-32
 +(1985) 1770--1772
 +
 +[F] M.V. Hynes: Physics with low temperature antiprotons. in Physics
 +in the ACOL era with low-energy cooled antiprotons, Editions
 +Frontières, Gif-sur-Yvette, France (1985) 657--664.
 +
 +
 +Pour en savoir plus
 +
 +Référez-vous à une étude technique
 +récente du Lawrence Livermore National Laboratory : <a
 + href="Perkins-Ort-Tabak.pdf">On the Utility of Antiprotons as Drivers
 +for Inertial Confinement Fusion</a> par L. John Perkins, Charles D.
 +Orth, et Max Tabak, publiée le 15 juin 2003. 
 +
 +Ainsi qu'aux déclarations des physiciens Carlo Rubbia et
 +Robert Klapisch sur <a href="Rubbia-Klapisch.html">l'utilité de
 +l'antimatière</a>.</p>
 +
 +
  
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