===== Carlo Rubbia et Robert Klapisch : L'utilité de l'antimatière =====
// Le texte qui suit est une reproduction fidèle des
déclarations de MM. RUBBIA (Prix Nobel de Physique 1984, CERN)
et KLAPISCH (Directeur de la recherche, CERN) sur l'utilité de
l'antimatière, à Paris le 14 octobre 1985, au colloque
commémorant le 40ème anniversaire du Commissariat
à l'Energie Atomique, devant un parterre de ministres,
généraux, amiraux, et autres personnalités de haut
rang. //
// Pour préciser le contexte, les déclarations de MM.
RUBBIA et KLAPISCH sont reproduites dans l'ordre des interventions au
débat qui a fait suite à deux exposés (par M.
RUBBIA et Mme CESARSKY) sur le thème de la recherche
fondamentale. //
// Le texte intégral des exposés et interventions est
inclus dans les actes du colloque, publiés par le
Département des Relations Publiques et de la Communication,
Commissariat à l'Energie Atomique, 31-33 rue de la
Fédération, Paris F-75015. //
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=== LA RECHERCHE FONDAMENTALE (page 101) ===
== Présidence ==
M. TEILLAC, Haut-Commissaire à l'Energie Atomique
== LA PHYSIQUE MODERNE : vers l'unification des forces ==
M. RUBBIA, Prix Nobel de Physique, CERN
== L'ASTROPHYSIQUE : quand infiniment petit et infiniment grand se rejoignent ==
Mme CESARSKY, Institut de Recherche Fondamentale, CEA
== DEBAT : ==
M. CLARKE, "Le Matin de Paris", "TD 1".
avec
* Mme CESARSKY
* M. FREJACQUES, Président du CNRS
* M. HOROWITZ, Directeur de l'Institut de Recherche Fondamentale, CEA
* M. RUBBIA
* M. TEILLAC
=== DEBAT SUR LA RECHERCHE FONDAMENTALE (pages 119 à 133) ===
=== M. CLARKE (page 119) ===
Nous allons donc essayer de parler de recherche fondamentale.
Beaucoup de choses inexactes sont dites à son propos. En
particulier, on dit qu'elle est inutile parce qu'elle ne
débouche sur rien d'immédiatement utilisable ;
j'espère que nous allons apporter, au cours de ce débat,
la preuve de l'intérêt de cette recherche.
A mon avis, elle est intéressante à trois titres :
tout d'abord, c'est la seule façon que nous ayons de faire de la
prospective, j'entends de la prospective raisonable ; d'autre part, la
recherche fondamentale est indispensable pour apporter une
réponse aux interrogations de l'homme par rapport à son
univers, comme Catherine CESARSKY et Carlo RUBBIA nous l'ont
montré chacun dans leur domaine ; enfin, la recherche
fondamentale, c'est celle qui essentiellement nous fait rêver...
Elle nous incite, parfois, à rêver de façon
tout-à-fait surprenante ; aussi , pour ouvrir le débat,
je voudrais donner la parole à Carlo RUBBIA qui travaille
précisément dans un domaine qui fait rêver et je
pense qu'il pourra nous fournir des éléments nous
permettant, à nous aussi, de rêver.
=== M. RUBBIA (page 119-122) ===
J'ai discuté avec M. CLARKE des sujets que nous pourrions
évoquer aujourd'hui et il est sorti de cette discussion un
certain nombre d'idées un peu futuristes sur les
problèmes associés à l'énergie. Je voudrais
donc vous apporter un petit goût de science-fiction en vous
parlant de deux sujets qui, de mon point de vue, sont
intéressants. D'ailleurs, ce n'est pas vraiment de la
science-fiction, ce sont des idées qui peuvent être
défendues au plan scientifique et qui devraient sans doute
être condidérées un jour comme réalisables
par les gens qui s'occupent aujourd'hui d'énergie
nucléaire.
Tout d'abord, une question importante : le stockage de
l'énergie. Pour pouvoir obtenir de grandes quantités
d'énergie, il faut construire de grosses centrales, mais ces
centrales sont sollicitées que la moitié du temps!... La
nuit, en effet, la puissance n'est pas très demandée,
alors que la demande de jour est forte. Il y a donc des périodes
de pointe et de creux, d'où l'importance du stockage de
l'énergie.
Or, si nous considérons des aimants supraconducteurs de
grande dimension --- que nous savons construire pour chercher des
choses inutiles, comme on le dit parfois ---, nous savons que
l'énergie stockée dans ces objets est
considérable. Ainsi, peut-on s'interroger : est-il possible de
construire un solenoïde suffisamment grand pour pouvoir y stocker
l'énergie produite par une centrale durant la nuit ? Lors de
cette transformation d'énergie électrique en
énergie magnétique, les champs magnétiques
créés atteindraient de 2 à 5 Teslas et
l'énergie correspondante pourrait être
récupérée en inversant les circuits
électrotechniques. Si on fait le calcul de l'énergie
magnétique contenue dans un solénoïde, disons de la
taille d'un terrain de football, on peut stocker dans ce volume
l'énergie produite durant une dizaine d'heures par une centrale
de un gigawatt par exemple. Il est donc envisageable de stocker sous
forme magnétique l'énergie produite par les centrales
durant les périodes de faible demande et ceci est possible
justement parce que nous avons déjà utilisé des
aimants supraconducteurs dans des chambres à bulles ou d'autres
objets mis au point pour des besoins de recherche fondamentale.
Mais je voudrais suggérer une autre idée en
m'appuyant sur l'existence de l'antimatière.
L'antimatière est, comme vous l'avez vu, produite au CERN
où une véritable usine de production a été
construite. Nous utilisons des protons qui sont
accélérés et viennent frapper une cible. Au cours
des collisions, il y a production d'un grand nombre de particules ou
d'antiparticules et, parmi elles, on trouve des antiprotons. Ces
antiprotons sont stockés dans une bouteille magnétique
qui, dans le cas particulier, est un anneau de stockage à
accumulation. On obtient ainsi une quantité d'antimatière
qui n'est pas très petite puisqu'elle atteint un microgramme par
jour. Or je voudrais spéculer sur tout ce qu'il serait possible
de faire si nous disposions de plus grandes quantités
d'antimatière, disons de l'ordre de quelques grammes. Un gramme
d'antimatière en s'annihilant avec la matière peut
produire une énergie équivalente à celle obtenue
en brûlant 10'000 tonnes d'un combustible
hydrogène-oxygène. On a donc dans un gramme le contenu
énergétique de 10'000 tonnes d'un combustible à
haute efficacité!...
Je pense qu'une telle propriété de
l'antimatière --- stockage d'énormes quantités
d'énergie dans un volume extrêmement petit --- peut
être très intéressante, notamment dans le domaine
spatial. En effet, pour envoyer quelque chose dans l'espace à
partir de la Terre, il faut consommer sous forme de combustible environ
cent fois le poids de la charge utile. Si on utilise comme source
d'énergie de l'antimatière, on pourrait alors envoyer des
objets sans être pénalisé au niveau de la charge
utile. J'ai fait un calcul qui montre qu'avec un millième de
gramme d'antimatière on pourrait envisager un aller-retour
Terre-Mars. Il est donc clair que des possibilités absolument
fantastiques nous sont offertes pour toutes les applications dans
lesquelles une grande concentration de l'énergie est utile.
Or, il n'est pas exclu --- et c'est même à
présent possible --- qu'on puisse construire des machines
capables d'accumuler des quantités beaucoup plus importantes
qu'actuellement d'antimatière. Nous sommes au CERN très
peu efficaces dans la collection d'antimatière, mais on peut
envisager d'autres techniques permettant d'accroître le rendement
d'accumulation d'un facteur mille. Par exemple, on pourrait stocker
cette antimatière sous forme de plasma, comme le font les
physiciens des plasmas pour des plasmas protons-électrons. Dans
notre cas, nous aurions un plasma antiproton-positons qui pourrait
être confiné dans le même type de bouteilles
magnétique que celui utilisé en fusion et cette
antimatière stockée serait disponible pour une
utilisation pratique.
L'antimatière nous ouvre tout un domaine d'applications et
ces idées méritent d'être approfondies.
=== M. CLARKE (page 122) ===
Merci. Je ne suis pas certain que tous les physiciens qui sont dans
la salle ou autour de la table partagent pleinement l'enthousiasme de
M. RUBBIA, mais je pense qu'il était bon de lancer le
débat sur des thèmes nettement futuristes. On peut
maintenant revenir sur Terre. Qui prends la parole ? M. HOROWITZ ?
== M. HOROWITZ (page 122-124) ==
[...]
== M. CLARKE (page 124) ==
[...]
== M. FREJAQUES (page 124-125) ==
[...]
== M. CLARKE (page 125) ==
[...]
== Mme CESARSKY (page 125) ==
[...]
== M. CLARKE (page 125) ==
[...]
== M. FREJAQUES (page 125-126) ==
[...]
== M. CLARKE (page 126) ==
[...]
== M. RUBBIA (page 126-127) ==
[...]
== M. CLARKE (page 127) ==
[...]
== Mme CESARSKY (page 127) ==
[...]
== M. CLARKE (page 127) ==
[...]
== Mme CESARSKY (page 128) ==
[...]
=== M. CLARKE (page 128) ===
Nous sommes partis, voyez-vous, à la fois vers le rêve
et vers les réponses aux grandes questions que l'homme se pose
depuis longtemps. Avant de demander à M. TEILLAC de conclure ce
débat, je voudrais demander à la salle si quelqu'un a des
questions à poser ou des réflexions à proposer. On
va vous donner un micro, ce sera plus facile pour que tout le monde
puisse vous entendre. Vous vous annoncez s'il vous plait.
=== M. KLAPISCHE, CERN (page 129) ===
Je voudrais discuter des propositions certainement très
futuristes que nous a soumises Carlo RUBBIA tout à l'heure
concernant, en particulier, les antiprotons. Il faut se souvenir que
l'antiproton a été découvert il y a environ 30 ans
par une équipe à Berkeley : SEGRE, CHAMBERLAIN, ... A
l'époque, il y avait probalement une douzaine d'antiprotons,
objet de cette découverte. Je ne sais pas combien de temps
à duré cette expérience, mais admettons qu'elle a
duré un mois : eh bien, vous voyez qu'en 30 ans, on a fait un
progrès de onze ordres de grandeur dans les capacités de
produire et stocker l'antimatière. Ce que propose en
rêvant un peu Carlo RUBBIA, c'est en somme d'aller à douze
ordres de grandeur de plus et, on ne peut pas exclure, parce ce que les
principes physiques sont connus, que dans deux ou trois
décénnies on atteigne ce but.
Mais plus près de nous, je veux dire que d'ici 3-4 ans
probablement le CERN pourrait, avec des installations actuelles ou en
projet, fournir dans une bouteille, un espèce de gros dewar
cryogénique et magnétique, des antiprotons. Pas un
gramme, mais 108 ou 109 antiprotons pourraient
être mis sur un camion et transportés dans un autre
laboratoire de recherche. Le vrai problème, c'est de savoir ce
qu'on fera exactement, tant du point de vue scientifique que du point
de vue des applications, de ces quantités d'antimatière.
Là, je voudrais évoquer une parole qui est
attribuée à l'un des découvreurs du laser, qui
disait qu'en 1960 le laser était une solution à la
recherche d'un problème. Je crois que c'est la vraie question
avec cette antimatière ; effectivement, il y a des
possibilités techniques ; je suis intuitivement convaincu qu'il
y a des possibilités. La vraie question maintenant, c'est de
voir à quoi elles peuvent s'appliquer.
=== M. CLARKE (page 129) ===
Merci. Je crois que quelqu'un à côté de vous
à demandé la parole.
== M. ABRAGAM (page 129-130) ==
[...]
== M. JACQUINOT (page 130) ==
[...]
== M. CLARKE (page 130) ==
[...]
== Mme CESARSKY (page 130-131) ==
[...]
== M. CLARKE (page 131) ==
[...]
== M. TEILLAC (page 131-133) ==
[...]
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==== Pour en savoir plus ====
Pour une appréciation générale des
retombées pratiques de la physique des particules, voir
l'article **Spin-offs of High Energy Physics to Society** [[http://www.tera.it/ise/attach/DFILE/350/Amaldi5.pdf|PDF]] de Ugo Amaldi.
Et pour les applications à court terme, l'article [[les_armes_a_entimatiere|Les armes à antimatière]] publié dans La Recherche de novembre 1986, dont certaines conclusions sont confirmées par les déclarations ci-dessus.
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